Après l’ubérisation de l’économie, la blockchainisation ?
La nouvelle économie va à la vitesse de la lumière. A un phénomène succède un autre et ceux qui suivent l’actualité des nouvelles tech savent que le phénomène qui prend de l’ampleur c’est celui des blockchains. On renverra ceux qui ne connaissent pas le phénomène aux très bonnes vidéos de vulgarisation qui fleurissent sur le web (comme celle-ci dans le domaine de l'IOT par exemple), il ne s’agit pas ici de tenter une explication du phénomène qu’on a parfois d’ailleurs du mal à envisager dans sa globalité tant les domaines concernés et les possibilités offertes paraissent infinis. Ce qui peut d’ailleurs effrayer ou réjouir, c’est selon. En revanche une chose est sûre : on va en entendre parler !
Imaginez l'internet des objets associés à la puissance d'une économie de masse, mais sans barrière d'intermédiation. Et bien le blockchain, c’est en partie ça : la mort annoncée des intermédiaires. Donc la mort d’une certaine conception de l’économie.
Et on ne parle pas de science fiction mais bien de quelques chose qui existe déjà, qui se développe et qui tel un tsunami commence à déferler sur les côtes de notre quotidien car le tremblement de terre s'est produit en pleine mer, loin du regard de la masse. Passionnant et terrifiant à la fois tant les possibilités d’applications semblent illimitées. D’autant plus incroyable que le blockchain n’arrive pas seul, mais accompagné des apports de l’intelligence artificielle, des objets connectés, de la puissance et la finesse des algorithmes, du deep learning...
Et le droit dans tout ça ? Comment blockchain et droit peuvent-ils cohabiter? Comment les avocats doivent-ils aborder l'économie du blockchain? Les chercheurs en droit, beaucoup plus que les praticiens qui ont le nez dans le guidon, commencent à s’interroger : faut-il un nouveau droit ? Nos corpus juridiques actuels sont-ils adaptés au phénomène blockchain ? Certains pronent la création d’un nouveau droit, « adapté » disent-ils à des phénomènes qui ne pouvaient être envisagés par le législateur du 19ème siècle, époque de la machine à écrire, voire parfois de la plume et de l’encrier si on envisage le code civil de 1804 par exemple.
Je ne prétends certainement pas avoir la science d’un professeur de droit. Mais je ne partage pas l’idée que le droit actuel ne puisse pas suffire à gérer le phénomène du blockchain.
Prenons un exemple simple : l’article 1382 du code civil fonde le régime de la responsabilité civile délictuelle. Cette loi fut rédigée en 1804. Pour simplifier : si je commets une faute (je laisse mon pot de fleurs devant ma fenêtre par grand vent) et que je cause un dommage (le pot tombe sur la tête d’un passant dans la rue en raison du vent) et qu’il existe un lien de causalité entre ma faute et le dommage causé, je dois réparer ce dommage. Cette loi, qui fut donc rédigée en 1804 a pourtant jusqu’en 1985 été un des textes de référence pour régir… les accidents de la circulation routière! Ce n’est que le 5 juillet 1985 après de longues batailles jurisprudentielles entre les diverses chambres de la Cour de Cassation, dont l’évocation vous endormirait, que Robert Badinter a instauré ce régime spécifique. Donc, oui, une loi ancienne peut parfaitement fonctionner avec les nouvelles technologies même si à l’époque de sa rédaction, ces technologies n’existaient pas. On pourrait encore citer la loi du 6 janvier 1978 sur la protection des données personnelles : point de réseaux, de BIG DATA, de Facebook ou autre monétisation de données informatiques à l’époque. Et pourtant la simple lecture de l’article 1er de cette loi permet de noter non seulement son actualité, mais osons le dire même, son intangibilité ("L'informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s'opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques.").
Le droit français est donc armé pour répondre aux besoins du développement des blockchains. Et un avocat doit pouvoir, en faisant preuve d'imagination, construire les outils juridiques dont une entreprise aura besoin pour développer son activité autour de cette technologie. La réponse est-elle la même s’agissant de l’économie de marché ? Pas sûr. Après la lutte entre économie dirigiste et économie libérale, nous connaissons aujourd'hui le temps de l’ubérisation. Mais un nouveau phénomène émerge dont on peut difficilement dire ce qu’il générera comme enfant économique. Reste que l’esprit du modèle de la blockchain renvoit sans doute en partie à celui de la fondation de l’Internet : l’ultra-liberté (...mais pas l’anarchie). Les années qui viennent nous annoncent donc de profonds boulversements économiques. Veront-elles naître de nouveaux géants de l’économie ? Justement, pas sûr avec ce modèle là et c’est tout le paradoxe… Une chose est sûre cependant, cela s'annonce passionnant!