Un "contrat présidentiel" peut-il être juridiquement contraignant?
Loin de moi l'idée de vouloir faire de la politique sur mon site. Mais les politiques ne cessent en ce moment -perspective électorale oblige - de répéter à qui veut l'entendre qu'ils ont élaboré pour nous, leur "contrat présidentiel". Bruno Lemaire vient de lever la dernière hésitation qui me restait pour rédiger cet article. De manière terriblement explicite il vient en effet de publier lui aussi son « contrat présidentiel ». Et voilà ce qu’on peut lire sur son site web de campagne : « VOICI MON CONTRAT PRÉSIDENTIEL -Voici le contrat que je veux passer avec vous pour le prochain quinquennat. Pourquoi ce contrat de 1 000 pages ? Parce que les Français en ont assez de ces politiques qui développent leurs grandes idées pour la France la main sur le cœur et ne font rien une fois au pouvoir (…)Ce contrat (…) m'engage (…) Je le respecterai ». Sur la base de ces contrats présidentiels, les français vont-ils pouvoir assigner en justice leur ancien président de la république si arrivé au terme de son mandat celui-ci n’a pas tenu ses engagements contractuels ? Revue de détails…
Et le contrat, il faut s’en méfier car depuis 1804, le principe est posé et n’a pas changé avec la réforme de 2016 comme le rappelle l’article 1103 du code civil : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. ». Un engagement contractuel a donc pour celui qui y souscrit, force de loi. C’est dire la puissance de l’engagement.
Autre point important lui aussi constant depuis plus de 200 ans : le principe de bonne foi qui est un principe fondateur du droit des contrats (article 1104 du code civil). Souci pour nos politiques dont l’addiction à la bonne foi est inversement proportionnelle au nombre des promesses qu’ils sont capables de faire en période électorale. En s’engageant sur le terrain du contrat, en donnant à ses propositions tous les atours d’un véritable engagement contractuel, le politique prend donc le risque réel de devoir bannir la promesse purement électoraliste au risque… de voir sa responsabilité civile contractuelle pouvoir être engagée devant un tribunal !
On imagine souvent le contrat comme un bout de papier que deux personnes au moins doivent signer pour qu’il puisse exister. Mais la réalité juridique peut être plus subtile. Un contrat peut être unilatéral nous dit l’article 1106 « (…)lorsqu'une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres sans qu'il y ait d'engagement réciproque de celles-ci ». Tiens ? Voilà qui donne donc corps à l’idée selon laquelle Monsieur LE MAIRE et tous ses petits camarades, de gauche comme de droite, proposant leur "contrat présidentiel" semblent bien faire peser sur leurs épaules des engagements juridiquement contraignants puisque le contrat unilatéral est celui qui fait naître des obligations à la charge d'une seule partie au contrat… en l'occurence, les candidats.
On peut pousser la blague plus avant en prenant connaissance de l’article 1124 du code civil puisque celui-ci nous dit aussi clairement que « La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire (…) ».
Donc si demain Robert, votre voisin de palier imprime le contrat présidentiel de Bruno Le Maire (il a intérêt à avoir beaucoup d'encre et beaucoup de papier...) ou d’un autre candidat, le signe et le renvoi en recommandé avec accusé de réception à ce dernier, on pourra sans doute considérer qu’un contrat est bel et bien formé entre eux puisqu'un échange de volontés pourra être démontré. Si le candidat qui s’est ainsi engagé par contrat est élu et qu’au terme de son mandat le contenu de ce document n’a pas été respecté, alors une procédure judiciaire fondée sur la responsabilité civile contractuelle (article 1231-1 du code civil et suivants) visant à obtenir l’allocation de dommages et intérêts de sa part pourrait avoir un fondement légal dans son principe.
On sait combien les promesses disparaissent quand l’élection est terminée. Comment alors résister au plaisir de vous livrer le premier alinéa de l’article 1137 du code civil qui semble avoir été écrit pour nombre de nos élus : « Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges (…)». Je sais ce que vous vous dites : cet article a été rédigé par un électeur floué ! Même pas, puisque ce n’est que la reprise de l’ancien article 1116 datant, lui, de 1804, quasiment mot pour mot. Mais avouez que le lire en pensant aux promesses des candidats est jubilatoire…
Allez soyons honnête jusqu’au bout. Sans doute les candidats sont-ils protégés par la notion anciennement portée par l’article 1128 du code civil qui prévoyait qu’« Il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions » devenu l’article 1128-3° continuant aujourd’hui l’obligation d’un contenu licite et certain dans le contrat. Feignons le doute sur ce point, car si le droit de vote ou encore l’investiture d’un candidat pour une élection sont très clairement des choses que les juges ont déjà considéré comme étant hors du commerce et ne pouvant donc faire l’objet d’un contrat, quid de l’engagement unilatéral de faire d’une personne ? Je vois des profs de droit qui s'évanouissent, je m'arrête donc là pour qu'on puisse les réanimer...
Mais facétieux comme je suis, je ne puis m’empêcher d’imaginer la tête de nos candidats face à la perspective d’une action collective de plusieurs millions d’électeurs sollicitant chacun 1€ de dommages et intérêts à un ancien président reconnu juridiquement responsable d’inexécution contractuelle. Amusant…
Et si demain ces derniers commencent à recevoir plusieurs millions d’exemplaires de leur « contrat présidentiel » signé de la main de chaque électeur, gageons qu’ils commenceront à poser quand même quelques questions à leurs juristes et que nous verrons peut-être disparaître cette notion tellement galvaudée de « contrat présidentiel » de leurs sacro-saints "éléments de langage"…
Allez... chiche ?