Aux urnes citoyens!
Une fois n'est pas coutume, l'inquiétante actualité politique de notre pays me conduit à violer la règle que je m'impose sur Getavocat : celui de ne jamais y évoquer la politique. Tout en vous proposant un avis juridique, je souhaite vous dire à mon modeste niveau, pourquoi notre modèle mérite d'être préservé.
Un texte juridique s’envisage toujours de plusieurs manières. Il y a le droit et la pratique. Celle qui bien souvent conduit à construire la jurisprudence (l’ensemble des décisions prononcées par des Tribunaux qui viennent préciser des aspects des textes normatifs – lois, décrets…ou indiquer leur mode d’application à des cas concrets).
Ainsi en va-t-il également de la Constitution de la cinquième République. Ce texte que beaucoup critiquent comme créant une situation d’hyper-présidentialisation n’est pourtant pas pas écrit en ce sens. C’est en réalité le sens que lui a donné Charles de Gaulle, puis l’ensemble de ses successeurs par la suite dans le cadre de l’application qui en a été faite.
De Gaulle balayera d’un simple communiqué l’idée même d’une émancipation du Premier Ministre de la tutelle du Président de la République en janvier 1959 lors de la nomination du tout premier locataire de Matignon, Michel Debré, co-auteur du texte de 1958. Il le fera en ces termes qu’on étudie d’ailleurs à l’Université quand on apprend le droit constitutionnel : « Le Président de la République a nommé Premier Ministre Monsieur Michel Debré. Sur la proposition du Premier Ministre, il a nommé les membres du gouvernement qui est composé comme suit… »
Il aura en réalité fallu attendre la toute première cohabitation entre François Mitterrand et Jacques Chirac (1986-1988) pour que l’usage constitutionnel faisant du Président de la République l’alpha et l’oméga de la vie institutionnelle française soit remis en cause.
Cette période a permis de constater plusieurs choses : la Constitution de la Vème république est protéiforme. Elle peut tour à tour revêtir les habits de régime présidentiel quand le Président a la même couleur politique que la majorité au Palais Bourbon ou de régime parlementaire en période de cohabitation.
Mais force est de constater que jamais notre constitution n’a subit de période de blocage. Quoiqu’il arrive, les institutions fonctionnent. C’est en ce sens que le texte est précieux à l’équilibre démocratique du pays. Attention les grincheux… Quand on écrit que les institutions fonctionnent, on ne dit pas que les programmes politiques mis en œuvre par les institutions fonctionnent ! Et c’est là le cœur du malentendu. Quand un pilote dépressif écrase son Airbus A320 contre un massif des Alpes, ce n’est pas l’avion qu’on met en cause mais le pilote…
Un exemple : Charles De Gaulle concevait le septennat comme adapté à la cinquième république parce qu’il entretenait avec la France un rapport direct via le referendum mettant systématiquement sa démission dans la balance du résultat. En 1969 il perd. Il part.
Aucun président après lui n’a réitéré ce genre de pratique, bien au contraire. Défaits par des referendums perdus, des présidents sont non seulement restés mais ont de surcroît contourné le choix des français.
L’instauration du quinquennat est donc une conséquence de ce sentiment de longueur qui s’est emparé des français dès lors que le mandat présidentiel n’entretenait plus un rapport direct et disons-le, radical, avec les français. L’instauration du quinquennat a sans doute porté un premier coup important à l'esprit de la Constitution dès lors qu’on a pallié à la lâcheté des locataires de l’Elysée par un bricolage copié, qu’on le veuille ou non, sur le modèle américain (deux fois 4 ans).
Pour autant, le véritable pouvoir s’exerce, sur le papier, à Matignon et non à l’Elysée. L’article 20 de la Constitution le précise très clairement : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l'administration et de la force armée. (…)».
L’article 21 renforce ce constat : « Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires. Il peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres. (…) »
Le Président de la République n’a, lui, pas concrètement entre ses mains l’usage constitutionnel de la pratique quotidienne du pouvoir : l’article 5 de la constitution indique ainsi de manière très claire : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. »
Sa mission est notamment une mission de garantie de bon fonctionnement des institutions. Et contrairement à une idée reçue largement répandue, il n’a pas la prérogative de révoquer le Premier Ministre, sauf à passer par la dissolution de l’Assemblée Nationale (article 12 de la Constitution). Là encore, ce ne sont que les usages constitutionnels qui, permettent au Président de « virer » le Premier Ministre : il n’y a en revanche pas de fondement juridique à cela. Qui le sait ?
C’est tellement vrai que quelque soit le Président élu le 7 mai, le Premier Ministre en place n’est pas juridiquement tenu de démissionner ! Là encore, c’est un usage, pas une obligation juridique jusqu’au renouvellement de l’Assemblée Nationale.
Les historiens se régalent d’ailleurs de cette anecdote visiblement avérée : Charles De Gaulle faisait signer une lettre de démission à ses Premier Ministres lors de leur nomination pour se garantir toute absence de difficulté pour organiser leur éviction…
S’agissant de la cinquième république, les constitutionnalistes ne parlent pas de régime présidentiel dont l’archétype est représenté par les Etats Unis. On ne parle pas non plus de régime parlementaire. Notre régime est mixte : il est semi-parlementaire ou semi-présidentiel, c’est selon… Alors pourtant, encore une fois, qu’à lire le texte constitutionnel à la lettre, il s’agit d’un régime parlementaire dès lors que l’article 50 rend le gouvernement responsable devant l’assemblée nationale ! En réalité, on oublie trop souvent le bouleversement de 1962 …
Si on laisse de côté l’exception de l’énorme personnalité de Charles de Gaulle, ce qui donne naissance à la cinquième république que nous connaissons et pratiquons aujourd’hui, c’est la réforme constitutionnelle de l’élection du Président au suffrage universel de 1962 à la suite de l’attentat du petit Clamart (version officielle). En 1958 De Gaulle est élu par un collège électoral de 81 700 électeurs, pas au suffrage universel direct qu’on estime alors être trop favorable au très populaire parti communiste.
Le Président acquiert alors la légitimité de son mandat directement du peuple alors que le Premier Ministre est nommé par le Président et tire, lui, sa légitimité d’une majorité à l’Assemblée Nationale : il ne bénéficie pas de ce lien direct, quasi-charnel entre le Président et les français.
Enfin sans pouvoir être exhaustif sur une question à la fois aussi vaste que passionnante, on ne peut faire l’économie de l’évocation du contreseing instauré par la constitution. Selon que l’on se trouve en période de cohabitation ou non, ce contreseing (sur la conduite de la politique de la nation, sur les nominations…) peut être conforme au texte, ou conforme aux usages.
Mais quelque soit la configuration juridique retenue, un constat s’impose sur un strict plan institutionnel : ça marche ! Et encore une fois, il faut faire l’effort de ne considérer que l’aspect juridique, technique. Le texte constitutionnel n’est pas responsable du chômage, des inégalités sociales, de la violence et de tous les affres de la société. La cinquième république, en réalité ne manque que d’une chose : de représentants compétents…
Il n’y a donc rien de plus faux que de considérer que notre constitution est « à bout de souffle », « impraticable » ou encore « arrive à son terme ». Rarement un mode d’emploi constitutionnel aura été aussi bien rédigé, aussi « tout terrain », rarement il aura apporté à un pays une telle stabilité institutionnelle, laquelle, faut-il le rappeler, influe directement sur la stabilité démocratique d’un pays.
Et c’est là aussi le drame de ce deuxième tour du 7 mai : rien ne permet d’empêcher un Président élu qui réussira à emporter dans la foulée les élections législatives de mettre en œuvre son programme. C’est en cela que le choix des électeurs est fondamental.
C’est en cela aussi que ceux qui pourfendent la Vème ont tort car ils disposeraient, une fois élus, de tous les outils juridiques nécessaires à la mise en place de leur programme. Bon, ou mauvais.
Une analyse s'impose d'ailleurs : si les députés socialistes avaient eu le courage de voter les motions de censure présentées à leur suffrage, en raison de la trahison programmatique ressentie, le Président aurait alors du soit s'incliner soit dissoudre l'assemblée pour relégimiter son Premier Ministre et donc la politique conduite. L'outil juridique, constitutionnel existe donc bel et bien! Ce n'est que la trouille de voir l'opposition devenir majoritaire qui a empêché ce coup de tonnerre politique... à deux voix près! De Gaulle a été confronté à ce défi avec Pompidou alors Premier Ministre : le 5 octobre 1962 l'assemblée défit De Gaulle en votant la censure contre Pompidou. Evidemment De Gaulle dissous l'assemblée et remporte son bras de fer en obtenant une nouvelle majorité de gaullistes aux élections suivantes... Il y a tant à apprendre de l'histoire!
N’en déplaisent aux grincheux, la démocratie représentative impose un préalable impératif : convaincre.
Ceux qui trop souvent dénoncent le système tel qu’il existe et désirent le voir tomber pour que lui succèdent un texte selon eux « plus juste » font trop souvent l’économie de ce raisonnement de base. Le plus dramatique est de constater les carences historiques de ces personnes dont le modèle revendiqué a déjà existé par le passé et a conduit la France à la fois à la paralysie institutionnelle et a failli entraîner un coup d’état : c’est le modèle de la IVème république.
On a donc le droit de choisir et même celui de ne pas choisir. A chacun de… convaincre autrui ce que représente le meilleur choix. Et encore une fois, il n’y a rien de mal à cela dès lors que c’est bien le sel de notre démocratie : ne pas être d’accord, débattre, démontrer les failles d’un raisonnement ou au contraire y souscrire. Faire d’une fin de repas l’annexe de l’assemblée nationale. Et souvent finalement rire de nos différences autour d’u bon repas et pourquoi pas d’un bon verre... ou se mettre sur la gueule...
Alors pour ma part, amoureux de la cinquième république, comme juriste mais surtout comme citoyen, je vais continuer d’essayer de convaincre autour de moi tout ceux qui pensent s’abstenir parce que leur candidat à chuté au pied du podium qui n’offre que 2 places. J’en ai le droit, j’estime même le devoir. Et ceux qui voudront bien m’écouter auront le droit de me rire au nez, de me dire que mes idées ne valent pas tripette, de me dire qu’ils iront à la pêche ou tout simplement le droit de rester dubitatifs.
On peut douter des candidats. Pas de notre constitution.
Aux urnes citoyens…