Technologies des transports : vers l'infini et au delà?
J’ai grandi dans un petit village de l’Aveyron peuplé de 450 habitants. J’y ai vécu mes années d’enfance à une époque où on changeait encore les chaînes de sa télé manuellement, où pour téléphoner on utilisait un gros appareil à cadran qu’on faisait tourner sur un socle fixe, rattaché à un fil à une prise murale, à une époque où la seule offre de cinéma à la maison était offerte par une chaîne cryptée payante qui étayait ses programmes en assurant de nombreuses rediffusions. Les années ont passé, les technologies ont évolué et l’État, quel que soit la couleur politique de ses représentants élus, n’a eu de cesse que de laisser les campagnes au bord du chemin des progrès techniques qui auraient permis à la France conserver une grande partie de son ADN intact, elle qui compte encore aujourd’hui près de 34000 communes.
Paris/New York en 3H26 - Montpellier/Rodez en 9h : on rallie plus facilement notre capitale à une capitale étrangère que deux communes françaises entre elles.
Jusqu’en 2003, toute personne qui en avait les moyens pouvaient rejoindre Paris à New York en 3h26. Dans le même temps, pour rallier Montpellier à Rodez à la même époque il ne fallait pas moins de 9 heures de trajet par le train. Environ 2H30 par la route.
Ainsi en va-t-il de la France pour tout trajet qui ne relie pas la capitale à un autre point du territoire. La desserte Est/Ouest est quasi inexistante et toute personne qui a eu un jour à se rendre dans un point légèrement excentré de l’axe Nord/Sud a dû apprendre à jongler avec les différentes possibilités offertes par les moteurs de recherche des voyagistes : train, avions, voitures de location pour tenter de se concocter un voyage pas trop long.
Pour ma part la dernière fois que j’ai eu à expérimenter de ce type de chasse au trésor des voyages, c’était pour un déplacement professionnel au Havre, depuis Montpellier respectivement 7ème et 14ème ville de France. Les choses n’ayant pas bougé d’un iota, nous pouvons à nouveau étudier le trajet. Utilisons pour cela ce site web futé Rom2rio qui optimise les déplacements.
Les résultats sont édifiants :
- En train – évidemment, toujours via Paris et 3 changements – 6H51
- En bus : 14h15
- En voiture : 8H39… sans les pauses
- En avion : 6H19
Dans le même temps et sans aller chercher l’exemple du Concorde, on ralliera Paris à New York avec Air France en 7H15.
Si la comparaison reste un peu grossière, il n’en reste pas moins que le constat est là : on rallie plus facilement notre capitale à une capitale étrangère que deux communes françaises entre elles.
Tous ceux qui, comme moi, ont vécu à la campagne une grande partie de leur existence ont pu voir nombre de petites gares fermer les unes après les autres, se transformant en maison d’habitation ou étant totalement laissées à l’abandon. Sans doute est-ce là l’expression la plus criante de l’incurie de l’État dans sa faillite totale à se projeter dans l’avenir.
La mobilité est à un pays ce que la circulation sanguine est au corps humain. Tranchez une veine, obstruez un chemin emprunté par le flux sanguin pour irriguer un organe et les conséquences pourront potentiellement être fatales.
Aucune politique n’a jamais au cours de ces 50 dernières années contribué à maintenir ou développer un maillage de transport moderne à la France, alors pourtant que notre pays n’est pas grand : songez qu’on peut le traverser en 10 à 12 heures à peine.
Les autorités n’ont eu de cesse que d’opérer les constats de situation qu’il a lui-même contribué à créer : fermeture de commerces, d’écoles, désertification des villages, fermetures de Gendarmeries, dégradations de l’état des routes secondaires, fermetures d’hôpitaux… Comment prétendre pouvoir continuer à faire vivre un corps quand le sang n’arrive plus aux organes ? Comment prétendre faire vivre un village quand les personnes ne peuvent plus arriver sur leur place ?
La mobilité est à un pays ce que la circulation sanguine est au corps humain. Tranchez une veine, obstruez un chemin emprunté par le flux sanguin pour irriguer un organe et les conséquences pourront potentiellement être fatales.
Le confinement a mis un coup de projecteur sur les villes moyennes et indirectement sur les campagnes. Les occupants des grands centres urbains fuyant ces endroits à l’annonce des mesures de confinement. Hors dans les fidèles des centres-villes, nombreux sont en réalité les personnes qui « subissent la ville » puisqu’ils ne la choisissent. Essentiellement pour des raisons professionnelles.
Regarder par la fenêtre d'un trajet en TGV effectué depuis Montpellier jusqu’à Paris ou mettre le nez au hublot d’un avion de ligne opère sur le passager qui laisse vagabonder ses pensées une étrange sensation : tous ces espaces vides, toutes ces campagnes splendides – oui la France est sans doute le plus beau pays du monde, tant pis pour le chauvinisme – ne pourraient-il pas répondre à nombre de maux de notre société ?
La structure du village autorise le développement du lien social quand celle de la ville ne contribue de plus en plus qu’à renforcer la méfiance et les craintes. Le rapport au temps est différent à la campagne qui autorise des phases de méditations que ne permettent plus aujourd’hui les centres urbains.
La ville devrait rester un choix, non une contrainte. La recherche d’achat d’un bien immobilier s’articule beaucoup autour de prérequis classique : « pas trop éloigné de… ». Ainsi voit-on se développer des cités dortoirs autour des villes quand la France regorge de villages superbes. Il ne s'agit plus alors de "vivre ensemble" mais de dormir les uns à côté des autres dans des maisons qui ne sont en réalités que des appartements bâtis horizontalement et non verticalement : il ne s'agit pas (plus?) de villages.
Il a manqué à nos gouvernements si ce n’est des passionnés de technologies de la mobilité à tout le moins des passionnés d’avenir et de modernité
Et d’en revenir aux problématiques technologiques. Il est incroyable de constater que nos aînés, ceux-là même qui ne connaissait pas le téléphone portable, le web, les voitures électriques, sont pourtant ceux qui ont initié les projets les plus dingues pour répondre à une problématique de transport moderne. Le TGV, Airbus, le réseau autoroutier sont l’illustration d’une volonté politique sans faille d’irriguer la France et au-delà de la faire briller à l’international.
Cette volonté s’est tarie. Il a manqué à nos gouvernements si ce n’est des passionnés de technologies de la mobilité à tout le moins des passionnés d’avenir et de modernité. Napoléon en son temps n’avait-il pas définit la règle consistant à faire en sorte qu’il soit possible de se rendre au chef-lieu d’un département à partir de n'importe quel endroit de celui-ci en moins d'une journée de cheval ? Cette règle simple aurait dû connaître son équivalent au vingtième siècle et il était de la responsabilité de l’État, en collaboration avec les régions et les départements d’assurer le respect de la règle… quoiqu’il en coûte pour reprendre une expression usitée ces temps-ci.
Assurer un maillage moderne et innovant des transports, innover à tout crin dans le domaine de la mobilité, faire de la France le laboratoire mondial du déplacement rapide, sûr, pratique et facile, voilà ce qu’il aurait fallu imposer comme règle tant les enjeux qui en découlent sont nombreux.
Assurer un tel maillage, c’est assurer le développement de l’économie dans les provinces, fournir toutes les chances possibles pour que les petits artisanats locaux de haute qualité puissent croître et devenir les ETI de demain qui font tant défaut au pays. C’est assurer une répartition raisonnée des habitants sur les territoires, accroître les chances de préserver les coutumes et donc les cultures locales qui font la richesse de la France, c’est renforcer le lien social entre les gens et donc la cohésion du pays tout entier, c’est permettre au prix de l’immobilier de demeurer raisonnable pour permettre aux français d'envisager un achat non comme un endettement sur une vie entière mais comme une étape dans le développement d’un patrimoine familial. C’est permettre aussi aux plus anciens de demeurer près de leur proche et de renforcer cette fois-ci la cohésion familiale.
Le transport a une importance équivalente à l’éducation, à la sécurité, à la santé. Et ce, pour une raison très simple, c'est une donnée transversale de toutes ces thématiques.
Et dans le même temps c’est permettre aussi aux grands centres urbains de se délester du trop-plein, de la suffocation bétonnière, c’est libérer ceux qui le souhaitent de la contrainte de la vie interurbaine pour ne laisser en profiter que les plus citadins d'entre nous. C’est donc remettre en cohérence les gens avec leur choix.
Combien il apparaît aujourd’hui que les problématiques de mobilité sont réduites à une vision étriquée de la vie. Les déplacements seuls ne sont pas en cause. J’ose l’affirmer car c’est ma conviction intime : le transport a une importance équivalente à l’éducation, à la sécurité, à la santé. Et ce, pour une raison très simple, il est une donnée transversale de toutes ces thématiques.
Adolescent, j’effectuais 28 kilomètres le matin pour relier mon village à mon Lycée de Rodez. Puis 28 kilomètres le soir pour en revenir et cela 5 jours par semaine. En bus. A la fin de la semaine j’avais effectué 280 kilomètres. A 11 ans, c’était 21 kilomètres le matin et 21 kilomètres le soir pour rejoindre mon collège. Déjà en bus. J’ai bien sûr connu des accidents pendants ces 7 années de transports, comment aurait-il pu en être autrement ? Jamais rien de grave fort heureusement.
Sans doute l’imagination n’est-elle pas une caractéristique de nos dirigeants… Un zest de curiosité et une volonté politique affirmée pourrait pourtant engendrer des bouleversements majeurs au sein de notre société.
Quelles voies envisager ? Elles sont nombreuses. Au premier rang de celles-ci figurent bien sûr les anciennes lignes de chemin de fer. La France faisait partie des pays les plus dotés en la matière au début du vingtième siècle. Au delà des gares SNCF, les villes de provinces étaient souvent bien dotées. Ma petite ville de Rodez disposait elle-même d’un tramway entre 1902 et 1920 ! Là encore l’incapacité de nos dirigeants à se projeter les a fait détruire ce qu’ils se mettraient à reconstruire pourtant 100 ans plus tard.
Mais se limiter à faire circuler des trains sur ces voies est sans doute une erreur ! Les voies existent même si elles nécessiteraient aujourd’hui des travaux colossaux pour une remise en état. Les réutiliser pour les trains n'est pas une fatalité. Réfléchissons aux utilisations alternativeds possibles! Utilisons ces axes pour y implémenter de nouveaux modes de transport. Nous sommes le pays de Jean Bertin et de son aérotrain, mais aussi celui de Franky Zapata et de son flyboard. Notre pays regorge d’ingénieurs et d’industriels de talents qui ne demandent qu’à proposer des solutions innovantes. La sous-exploitation d’une solution bien française répondant pourtant à tellement de contraintes, le téléphérique, démontre la sclérose intellectuelle de nos élus.
Doucement son développement urbain s’ébroue. Réfléchissons-y pour les campagnes ! Les perspectives incroyables de l’hyperloop commandent que l’on investisse beaucoup plus qu’aujourd’hui dans les études de faisabilité de tels moyens de transport (quel visage aurait le pays si Paris était distant de 30 minutes de Marseille ?!). Ne devrait-on pas comme au temps du TGV, y consacrer la même énergie ?
Dans les airs, c’est le retour pertinent du dirigeable qui est à étudier de prêt tant il semble évident qu’il a vocation à prendre sa place dans plusieurs strates du transport : celui du fret, celui de la croisière aérienne mais aussi celui du transport en commun et même au delà, celui de la sécurité aérienne, de la lutte contre les incendies...
Toutefois la lourdeur des investissements est telle que seule une implication forte de l’État permettrait de soutenir un développement suffisamment rapide de ces projets. Sans doute lui manque-t-il cette vision de l’avenir qui habitait nos aînés dans les années 50 et 60. Baignant dans un quotidien de technologies parfois futiles, il semblerait que nos élus aient cessé de s’émerveiller face au progrès.
Ne sent-on pas venir la révolution du développement par Boeing ou Airbus d’avions moyen-courrier monocouloir (type Airbus A320) pour des vols longues distances ?! En 2018 un A320 neo LR a effectué la traversée Paris/New York. Imaginez tout simplement pouvoir décoller de n’importe quel aéroport régional en France pour pouvoir ensuite atterrir en Amérique du Nord ! Les perspectives ne sont pas que touristiques et un État stratège penserait déjà à adapter le maillage des transports à ce futur déjà existant. On est loin aujourd’hui.
L’avenir de l’espèce humaine est -il comparable à ce que l’on peut voir émerger de la vision des auteurs de Star Trek?
Si on songe à ce que nous sommes, on réalise qu’il n’y a pas plus inadapté à la vie sur Terre que notre espèce : pas de fourrure épaisse nous protégeant du froid, pas de crocs acérés pour tuer des proies, pas de pointe de vitesse permettant d’échapper aux prédateurs… Mais un cerveau incroyable et des capacités d’invention qui font de nous l’espèce dominante. La raison d’être de l’homme, c’est l’exploration, l’innovation, la recherche perpétuelle du repoussement des limites.
C’est ce qui nous a conduit à poser le pieds sur de nouveaux continents, puis à conquérir le ciel, les fonds marins, l’espace, jusqu’à toucher le sol d’une autre planète. Sans doute l’avenir de l’espèce humaine est -il comparable – si on laisse de côté le volet « fantastique » lié aux espèces et aux intrigues – à ce que l’on peut voir émerger de la vision des auteurs de Star Trek, comme tend à le démontrer ce magnifique documentaire intitulé "Building Start Trek". Dans quelques centaines d’années, quand les technologies le permettront, il ne fait aucun doute que nous ne nous contenterons plus de notre planète. Les projets de colonisation de la Lune ou de Mars paraissent aussi fous aujourd’hui qu’apparaissaient les projets de traversée de l’Atlantique aux gens observant Lindbergh en 1927. Et pourtant...
Arrêtons-nous un instant sur les progrès réalisés : il n’aura fallu que 66 années à l’être humain depuis le premier vol des frères Wright le 17 décembre 1903 pour poser le pieds sur la Lune le 21 juillet 1969. Même pas un siècle pour passer de l’invention de l’aviation à l’exploration d’une autre planète.
Que l’on songe un instant à quoi ressemblait une automobile au début du 20ème siècle et à quoi elle ressemble aujourd’hui ? Les technologies n’ayant cessé d’évoluer depuis, où en seront nous dans 50 à 60 ans ?
Notre principal obstacle, c’est la fin de l’émerveillement : chaque élu confronté aux technologies et à l’innovation, tout en gardant la main ferme sur le portefeuille des deniers publics doit conserver cette capacité d’émerveillement qui constitue la porte d’entrée vers la projection et donc vers l’anticipation des besoins d’un pays.
Notre principal obstacle en réalité, c’est la fin de l’émerveillement. Déjà dans les années 70, les journaux ne consacraient plus leurs unes aux exploits des missions Apollo tant le fait d’effectuer des allers/retour, pourtant périlleux, entre deux planètes distantes de 384 400 kms paraissait une petite affaire.
Si nous avons abandonné la Lune, si nous avons abandonné le Concorde ou encore le France, ce n’est pas que pour des raisons économiques. C’est aussi et surtout parce que notre capacité à nous émerveiller des apports de la technologie s’est émoussée.
Sans doute suis-je pour ma part tant attaché à l’évolution des technologies parce que je demeure fasciné par le fait d’avoir un petit ordinateur portable dans ma poche (le smartphone), que je ne peux pas prendre l’avion sans songer à la masse d’ingénierie qu’il faut pour faire décoller puis se maintenir en l’air un engin pesant plus de 40 tonnes, sans considérer comme délirant que quelques heures suffisent à vous emmener à des milliers de kilomètres de votre point de départ, non sans siroter un café au-dessus des nuages ou déguster tranquillement un déjeuner ou un dîner dans les mêmes conditions. Empruntant mon mini-segway pour aller au cabinet, je n’ai de cesse de m’ébahir de la conception de cet engin électrique qu’on dirige avec les pieds et les genoux avec une facilité telle qu’il en devient une extension de soi-même.
Chaque élu confronté aux technologies et à l’innovation, tout en gardant la main ferme sur le portefeuille des deniers publics doit conserver cette capacité d’émerveillement qui constitue la porte d’entrée vers la projection et donc vers l’anticipation des besoins d’un pays. Sans émerveillement, nous n’aurions pas eu les paquebots, les avions, les voitures, les trains car aucun d’eux, en vérité, n’a jamais été indispensables à l’homme.
Ceux qui veulent aujourd’hui empêcher l’évolution des technologies de prospérer sont les descendants de ceux qui firent un procès à Galilée pour avoir osé développer ses théories astronomiques. Il faut se garder de céder aux sirènes de cet obscurantisme qui atteint les maires de grandes villes qui font dans le concours Lépine de la décroissance sans jamais songer à ce que la technologie a pu apporter de bénéfique à la civilisation humaine.
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». Mark Twain.
Nombreux sont ceux qui ne demanderaient pas mieux que de laisser leur véhicule chez eux pour rejoindre leur travail en ville si seulement on mettait à leur disposition des moyens de transport innovants, propres, confortables et respectueux de leur personne. Le métro est une invention de 1863. Il n'a en vérité que peu évoluer dans son principe et on ne peut réduire un moyen de transport à sa seule praticité. Si l’intérêt défendu est celui de la préservation de l’environnement par la réduction des déplacements individuels, alors, il est du devoir des collectivités de mettre le paquet sur les recherches alternatives aux moyens traditionnels qui, seuls, ne peuvent pas répondre à tous les besoins.
Qu’il soit gravé bien haut au fronton du monument de l’innovation cette phrase de Mark Twain qui à elle seule renferme tout le défi de l’innovation et du progrès : « ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ».