La règle de Droit, simple variable d'ajustement économique pour les multinationales?

La règle de Droit, simple variable d'ajustement économique pour les multinationales?




Les sanctions contre des grands groupes pour des violations relatives notamment à la Directive Eprivacy et au RGPD n'en finissent plus : 2 2500 000€ pour un grand groupe français, 800 000 € pour sa filiale bancaire 35 000 000€ pour la plus grand marketplace du monde, 100 000 000€ pour le moteur de recherche le plus utilisée au monde, 405 000 000€ pour un des  réseaux sociaux les plus populaires...

Au delà des chiffres qui donnent le tournis, ces sanctions nous disent une chose essentielle sur ces groupes et sur l'approche qui est la leur concernant la règle de droit dans un contexte économique mondialisé quand les enjeux financiers sont conséquents : c'est l'analyse de la norme juridique à travers le prisme du rapport risques/bénéfices. On n'applique pas la norme à point c'est tout. On l'applique "si et seulement si" pour reprendre certains formules mathématiques...




 


Une conception économique du droit.

Ces sanctions nous disent que ces sociétés ont une conception économique du droit. Ces grands groupes sont assistés de cabinets d’avocats figurant parmi les plus onéreux de la planète. Et il n'y a aucun doute sur le fait que les équipes de confrères et de consœurs en charge de les conseiller les aient mis en garde concernant les irrégularités de leurs pratiques commerciales.
 
Pourquoi cette certitude ? Pas par corporatisme. Mais simplement parce que tout acte réalisé par un avocat engage sa responsabilité. On enfonce une porte ouverte en rappelant que nous sommes tous assujettis à des assurances professionnelles garantissant nos éventuelles bévues.
 
Or, avez-vous jamais entendu parler – et nul doute que cela ferait du bruit – d’un cabinet ayant été contraint d'effectuer ce que l'on nomme "une déclaration de sinistre" en raison d'une erreur d'analyse juridique communiquée à un de ces clients grands comptes ? Non. Tout simplement parce que les cabinets prennent le soin d'accompagner leurs prestations à destination de leurs clients de toutes les mises en gardes requises quant à tel ou tel projet ou telle ou telle pratique si d'aventure il contrevient à l'état du droit.

Qu'il ne renseigne pas correctement son client et le cabinet devra - à juste titre - en répondre devant lui et le cas échéant l'Ordre dont il relève. Mais rien ne semble indiquer que dans les cas évoqués en introduction, il y ait eu de telles mises en cause. Pas plus d'ailleurs que par le passé dans des situations similaires.


Les entités en question savaient-elles qu'elles n'étaient pas en règle? Bien sûr que oui...


Les entités en question savaient-elles qu'elles n'étaient pas en règle? Bien sûr que oui. La lecture même des décisions les sanctionnant le révèle d'ailleurs parfois. L'explication des sanctions n'est donc pas à rechercher dans la mauvaise maîtrise du droit. Mais dans l'approche économique de la notion même de "droit". Le permis et l'interdit ne sont pas envisagés en tant que normes sociales par ce type de grands groupes, mais en tant que norme économique à évaluer, cette évaluation étant la plupart du temps comptable. Que me coûtera le fait de violer la norme? Suis-je en mesure de retirer un bénéfice de cette violation? Bref, puis-je, au regard des bénéfices espérés, provisionner le risque de la violation de la loi?

Et, ce qui vaut en matière de protection des données vaut aussi pour d’autres domaines (ainsi par exemple les sanctions en matière d’ententes illicites des grands groupes de téléphonie, condamnés en 2005 à une amende record de 534 millions d'euros par l’autorité française de la concurrence), l’actualité sait nous le rappeler régulièrement.
 
On n'entend jamais parler d’un cabinet mis en cause au titre de sa responsabilité professionnelle. C’est tout simplement le témoignage de ce que ces grands comptes n’ont rien à reprocher à leurs avocats et que les conseils donnés ont probablement été les bons.
 
Reste que ces conseils et recommandations n’ont à l’évidence pas été suivies et que les sanctions publiques dont chacun a publiquement connaissance sont bien réelles.

L'entreprise décide de prendre le risque et sur le plan comptable, probablement, de le provisionner.
 
Cet état de fait est donc le témoignage d’une logique économique du droit. L’entreprise fait le choix délibéré de ne pas respecter le droit : elle sait que ses actions sont illégales ou au mieux "border line", mais elle décide de prendre le risque et sur le plan comptable, probablement de le provisionner.
 
Et de s’interroger alors sur la rentabilité d’un tel modèle. Malgré des sanctions qui apparaissent monstrueuses au commun des mortels, quelle est la perception des entreprises concernées ?  Par-delà l’indignation et l’incompréhension de façade, qu’en est-il réellement du ressenti interne. « Très bien on savait que ça pouvait arriver, maintenant on gère ». Voilà plus probablement l’état du véritable ressenti.
 
Ainsi le juridique dans une entreprise de cette envergure n’est-il probablement qu’une notion économique parmi tant d’autre : on provisionne le risque juridique comme on provisionne une tendance à la baisse de l'activité économique, une variation des marchés, un ajustement des productions..., On gère, mais on ne se plie certainement pas par principe à la règle de droit parce qu’elle est la règle de droit dès lors qu'elle rentre en collision avec les intérêts de l'entreprise. Il s’agit simplement d’une donnée parmi tant d’autres à appréhender et à gérer en fonction des besoins de l’entreprise.
 
Ceux qui évoquent la « surprise », la « protestation » ou « l’incompréhension » de ces groupes sont bien naïfs. Il s’agit en réalité de prise de positions assumées, de gestion de risques juridiques et de survenances de sinistres envisagés de longue date. Il ne peut tout simplement structurellement pas en être autrement.
 
Il ne s’agit pas ici de porter un jugement de valeur, mais d’analyser froidement et sans passion le comportement (ponctuel?) de ces grands groupes vis-à-vis des législations trop encombrantes pour leur modèle économique.
 
L'existence même de telles sanctions conduit à s'interroger sur la possibilité que la règle de droit puisse parfois pour ces multinationales n'être qu’une variable d'ajustement économique parmi tant d’autres.